Par Vincent Gibelin pour l’Anticapitaliste hebdo numéro 670 du 13 juillet 2023
Éditions Pontcerq, 2014, 164 pages, 9 euros.
Lectrice, lecteur, voici venir le temps des vacances, et tu vas partir en voyage... Tu le sais, cela coûte cher et tu voudrais bien adopter un mode de transport écocompatible : as-tu pensé à l’autostop ?
« L’autostop consiste à se déplacer en utilisant les voitures qui passent ». Mais encore ? L’étonnant petit livre de Anton Krotov, publié pour la première fois en 1975, dont l’éditeur nous informe qu’il a été tiré à 100 000 exemplaires en Russie, se veut vraiment un manuel scientifique — « un manuel d’invitation à la route », selon la 4e de couverture — d’apprentissage du stop : partir de la définition de son itinéraire, aborder la façon de se placer sur la route, affiner la manière de s’y prendre (« le geste doit absolument être énergique et dirigé vers un conducteur en particulier »), évoquer le comportement à adopter en voiture, sans oublier le cas particulier du voyage la nuit — « il est dangereux et malsain de dormir en voiture car le conducteur peut lui aussi s’endormir » — penser au contournement des villes... Conseils universels, valables aussi bien en Russie qu’au fin fond de la Creuse, du Finmark ou de l’Andalousie, assortis de recommandations plus spécifiques sur le stop en hiver, par grand froid, ou sur des routes isolées (voire très isolées !).
Les développements concernant l’autostop professionnel, les écoles d’autostop, les clubs de voyage libre, les courses d’autostop, les voyages de groupe, rendant compte de l’expérience de l’auteur, attestent d’une créativité et d’une audace réjouissantes des autostoppeurs russes de la fin du 20e siècle.
Plus largement, au fil des pages Anton Krotov nous donne à voir un pays — l’URSS des années 1970 — et certainEs de ses habitantEs qui ne peuvent manquer de nous surprendre ! Son récit emprunte à une forme de sociologie de terrain et nous enseigne ce que cette société, réputée fermée et minutieusement contrôlée, recelait d’espaces de liberté, de grands espaces même ! Par ses conseils pour — entre autres — se faire héberger la nuit dans une ville inconnue, Krotov nous convie à un voyage libre au cœur d’un pays empreint de solidarité populaire.
L’invitation au voyage libre est aussi une profession de foi : pour peu que vous appreniez à l’aimer et à le comprendre « le monde s’ouvrira à vous, les voitures s’arrêteront et les habitants du coin vous proposeront de vous héberger pour la nuit, et tous les habitants de cette Terre deviendront vos frères et la Terre elle-même deviendra votre maison ». On a envie d’y croire et, le poing levé, d’en laisser émerger le pouce !