un article intéressant de Nolwenn Weiler de Bastamag
Le gouvernement s’apprête à rendre une décision définitive sur le devenir du projet d’aéroport, tout en brandissant la menace d’une expulsion « quoi qu’il arrive » des occupants de la « Zone à défendre ». Sur place les activités quotidiennes se poursuivent, bien loin des fantasmes médiatiques alimentés par l’appareil sécuritaire. Une guérilla armée en plein bocage ? On y trouve bien plus d’installations agricoles, de boulangeries, d’auberges autogérées que de caches d’armes... ainsi qu’une gestion collective des terres, en lien avec des paysans locaux et de nombreux citoyens. Une utopie en actes que les occupants entendent bien prolonger, une fois le projet d’aéroport abandonné. Reportage et photos non truquées.
Jour d’hiver à Notre-dame-des-Landes. Le ciel, gris, est menaçant. Chaussés des bottes ou des godillots de rigueur pour affronter la boue, plusieurs membres du collectif de Bellevue, une ferme située à l’ouest de la « Zone à défendre » (la Zad), viennent de faire monter des bœufs dans une grande remorque. Direction : leur ferme de naissance, où l’éleveur les récupérera. « Certains agriculteurs du coin nous prêtent des veaux, qu’on laisse grandir ici, en les faisant pâturer, explique Camille [1]. C’est aussi une manière de soutenir la lutte, car cela nous permet d’occuper l’espace. »
Dans une salle attenante à la maison, Carla s’active. Elle est arrivée tôt ce matin pour mouler ses fromages et doit se dépêcher : elle est attendu au Liminbout, le hameau voisin, où siègent les « Q de plomb ». Dans cette auberge qui organise des festins sur commande, cohabitent certains occupants « historiques » de la Zad. Il y concoctent des petits plats à partir de productions locales qui seront dégustés par des visiteurs. « Les gens viennent par exemple fêter un anniversaire, décrit Carla. La plupart des convives habitent hors de la Zad, beaucoup ne sont jamais venus avant. Les « Q de plomb », c’est vraiment un lieu de brassage. D’ailleurs, c’est pour cela qu’il a été créé. »
À Bellevue, au Liminbout, et ailleurs dans le bocage, on a beaucoup ri en apprenant que les occupants de la Zad avaient été propulsés experts en attaques terroristes par des éditorialistes et journalistes parisiens n’ayant jamais posé un pied à Notre-Dame-des-Landes. Le 13 décembre dernier, les trois médiateurs désignés par le Premier ministre pour émettre un énième avis sur le projet de construction d’un aéroport remettaient leur rapport au gouvernement. L’évacuation de la Zad fait alors la une des JT et des journaux. Certains s’en donnent à cœur joie, prétendant que les occupants sont lourdement armés, et ont préparé de terribles pièges [2].« On n’a toujours pas trouvé comment souder des lames de rasoir sur des boules de pétanque », s’esclaffe Basile, allusion à des propos relayés par France 2.
Le jeune homme rappelle aussi que le terrain pressenti pour construire l’aéroport, et défendu depuis des dizaines d’années par diverses générations de résistants, est une « zone humide ». Contrairement aux inquiétudes relayées par le Journal du dimanche, il est donc « impossible » d’y creuser un tunnel. « Le problème avec cette diabolisation de la lutte, glisse Carla, c’est que cela crée l’opinion. Un journaliste étranger nous a carrément appelé en demandant s’il y avait des femmes et des enfants sur place… D’autres demandent à confirmer qu’on n’est pas armés ! » « Personne ici ne cherche à tuer ni à mourir, clarifie Basile. On a autre chose à faire que de se sacrifier. »
« Ce que l’on défend ici, y compris physiquement si nécessaire, c’est l’autonomie, précise le jeune homme. D’abord matérielle : nous produisons assez de céréales pour alimenter deux boulangeries en farine. Nous disposons aussi de deux lieux de maraîchage, de très nombreux jardins, et de divers projets d’installations. Nous cultivons des plantes médicinales, des vergers ont été plantés. Il y a des fromageries qui tournent. » Des ateliers de charpente, de réparation d’outils agricoles, de coupes de bois, se tiennent régulièrement….
A la Noé Verte, située à l’extrémité est de la zad, une conserverie se met peu à peu en place. Une dalle a été coulée à l’entrée du jardin pour accueillir le futur bâtiment. La charpente devrait être montée pendant l’hiver. En attendant, les bocaux s’alignent sagement sur diverses étagères de la maison. « La nourriture, c’est un peu la base de l’autonomie », dit Gibier, qui a choisi de s’installer comme maraîcher à deux pas de la Noé verte, de manière « officielle », c’est à dire reconnue par les services administratifs, la Mutuelle sociale agricole et le répertoire des entreprises.
Sur la zad, plusieurs producteurs ont fait le choix d’une installation « officielle », en boulangerie, en brassage de bière, ou encore en élevage laitier. Ils cohabitent avec ceux et celles qui s’installent officieusement, c’est à dire en ne déclarant rien à personne. De même qu’avec les paysans « historiques », installés ici depuis des dizaines d’années – voire depuis plusieurs générations – et qui ont toujours refusé de quitter leurs fermes. Cette diversité de profils et de façons d’occuper la terre fait partie des richesses revendiquées du mouvement de lutte contre l’aéroport. « Le mouvement tient depuis toujours à maintenir cette diversité, insiste Basile. Elle fait partie de nos forces. Et elle permet de nous entraider. »
Les occupants de la Zad tiennent aussi à entretenir des liens avec les autres luttes sociales. « La cagette des terres » compte par exemple une cuisine mobile et un réseau de producteurs prêts à se mobiliser rapidement pour aller faire à manger sur des piquets de grève. « Les paysans ont une capacité d’organisation logistique considérable, juge Gibier. c’est un potentiel pour le mouvement social. Il y a de l’espace pour accueillir du monde, des outils pour bricoler, des hangars, à manger pour tout le monde. C’est génial, par rapport à la ville, où on galère pour trouver de l’espace, pour recevoir du monde, pour organiser des manifs. Ici, on a beaucoup plus de liberté. »
« J’ai envie de vivre de mon travail, reprend Gibier, et j’assume cela. Il faut que je puisse satisfaire mes besoins, même s’ils sont modestes, ainsi que ceux de ma famille. Il me faut un salaire, que j’entends tirer de la vente de mes légumes. Et pour avoir le droit de faire les marchés, je dois être déclaré. Cotiser à la MSA, c’est également important pour moi parce que je trouve que la mutualisation a du sens. Et puis j’ai besoin d’un système de protection santé. Dans mon histoire, tout est officiel. Sauf que j’occupe des terres illégalement. »
Cette occupation illégale ne semble pas déranger qui que ce soit. On retrouve ce scénario du côté des paysans « historiques » expropriés de leurs terres en décembre 2015, et qui continuent leur activité comme si de rien n’était. « On s’est demandés s’ils allaient continuer à toucher les aides de la PAC (politique agricole commune, ndlr), par exemple. Et bien oui, s’étonne Carla. La laiterie continue aussi de passer récupérer leur production, cela ne semble poser aucun problème qu’ils soient sous le coup d’une expropriation. »
« Ici, on ne travaille pas que sur l’autonomie matérielle, souligne Basile. Ça, des éco-lieux le font très bien ailleurs en France. Ce qui est unique ici, et sans doute le plus important, c’est l’autonomie politique, avec une capacité d’auto-organisation et d’auto-décision. » Trois assemblées rythment la vie de la Zad : l’assemblée du mouvement, qui se réunit tous les mois avec l’Acipa (association historique de lutte contre l’aéroport) et les comités de soutien extérieurs, « prend les décisions stratégiques, détaille Carla. Quelles manifs on organise, qu’est-ce qu’on répond aux médiateurs du gouvernement, etc. » Si le projet d’aéroport est abandonné, l’assemblée du mouvement s’effacera sans doute, pour laisser plus de place à l’assemblée des usages. On y traite des relations avec la société de chasse locale, de la gestion des routes, ou encore des conflits qui peuvent apparaître. L’assemblée dépasse la question de la lutte contre l’aéroport, et ne comprend pas uniquement des occupants de la Zad [3].
Enfin, la troisième assemblée s’appelle « Sème ta Zad ». Elle s’occupe de la distribution des terres achetées par l’État et Vinci pour construire l’aéroport, mais récupérées par le mouvement de lutte. Les paysans qui ont accepté de vendre leurs terres peuvent continuer à les exploiter moyennant la signature de baux précaires d’un an. « Mais désormais, chaque année, au moment d’attribuer les baux précaires, la chambre d’agriculture appelle la Zad, pour savoir quelles terres on récupère, commente Gibier. Ils ne viennent même pas sur place. Nous leur montrons, sur plan, quelles parcelles on va occuper. On est dans un rapport de force étonnant. »
260 hectares sont actuellement contrôlés par les occupants. Qui entendent bien conserver la gestion collective de cette vaste zone, une fois abandonné, peut-être, le projet d’aéroport. Sous quelle forme ? Celle d’un bail emphytéotique (bail de très longue durée [4]) comme au Larzac ? D’une auto-gestion tolérée comme le quartier de Christiania à Copenhague au Danemark ? « Peu importe, dit Basile, pourvu que l’État laisse l’autonomie qui est en place perdurer. »
Pas d’expulsion, retour des gens qui ont lutté dans leurs droits, maintien des projets hors-cadre, gestion commune des terres : telles sont, pour le mouvement, les bases non négociables du futur de la Zad. « D’ici-là, le plus important, c’est de cultiver les terres tous les jours, avance Gibier en déchargeant la structure métallique de son futur bâtiment agricole, pour repousser l’arrivée des tractopelles, et rendre toute intervention de plus en plus difficile. » Selon Basile et Carla, le gouvernement n’est pas clair : va -t-il négocier ? Avec qui ? Pour obtenir quoi ? « Son but évidemment, ça va être d’atomiser les différentes situations », devine Basile. Mais la capacité à rassembler des militants très divers, et à utiliser des ressorts très variés de lutte – recours juridiques, occupations de lieux publics, manifestations, soutiens logistiques aux occupants... – avait surpris tout le monde lors de l’intervention de 2012, et valu au gouvernement une cuisante défaite.
Depuis, les liens se sont largement renforcés, à l’intérieur de la Zad comme avec les voisins immédiats, et avec des comités de soutien qui se sont multipliés à travers le pays. Ce sont eux qui ont tracé les trois circuits pédestres permettant d’arpenter la Zad pour aller à la rencontre des projets qui y sont développés.
Le 26 novembre dernier, une journée de randonnée était organisée. Un mois plus tôt, un collectif débarquait le temps d’une journée, pour planter un verger sur six hectares, tout juste récupérés. Chacun, à sa façon, s’attache peu à peu à cette terre et saura, en temps voulu, se mobiliser pour défendre ce qui s’y vit. Prochain rendez-vous, le samedi 10 février, lendemain de la fin officielle de la déclaration d’utilité publique – qui a une durée de vie de dix ans – pour la « Fête de la victoire ».
Nolwenn Weiler
Notes
[1] Tous les prénoms sont des prénoms d’emprunt
[2] Lire cet article de Samuel Gontier, et ce papier d’Acrimed
[3] En font par exemple partie le Collectif de paysans opposés au projet de futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Copain), l’Acipa, ou les naturalistes en lutte...
[4] Le bail emphytéotique est un bail immobilier de très longue durée, le plus souvent 99 ans mais pouvant atteindre 999 ans dans des États tels que le Kenya ou au Zimbabwe, qui confère au preneur un droit réel sur la chose donnée à bail, à charge pour lui d’améliorer le fonds et de payer un loyer modique, les améliorations bénéficiant au bailleur en fin de bail sans que ce dernier ait à indemniser le locataire. Source : Wikipédia.