Suite d’une série d’articles sur la situation locale /6
Aujourd’hui Pierre, directeur d’école, militant syndical, s’exprime.
N’est- on pas en train de créer des inégalités scolaires irréversibles ?
Dès l’annonce du confinement mi-mars, les enseignant.e.s ont mis en place « une continuité pédagogique » demandée par le ministère. La plupart ne l’ont pas fait pour répondre à une demande ministérielle, mais de bonne foi pour ne pas que les élèves s’éloignent de l’école, des apprentissages et du goût d’apprendre, de lire, de comprendre le monde…. Aucune école, aucun collègue dans les écoles avec qui j’ai des échanges n’a compté ses heures. Depuis mi mars c’est sans doute une charge de travail 1,5 ou 2 fois plus élevée que d’habitude que nous avons eu à assumer. Je pense qu’une grande partie d’entre nous le faisons avec la notion de continuité de service publique et de réussite de TOUS les élèves chevillée au corps.
Mais réfléchissons et essayons de prendre du recul sur ce que nous faisons
1/ Sur la notion même de continuité pédagogique : soyons clairs entre nous et vis-à-vis des parents. La période actuelle ne permet pas une continuité pédagogique dans le sens où en primaire, des acquisitions scolaires sans l’interface d’un pédagogue formé ne sont pas possibles. Les enfants ne sont certes pas en vacances mais, nous pouvons mettre en ligne toutes les ressources en ligne que nous voulons, ils ne pourront acquérir seuls, sans l’intervention, la remédiation des enseignants que nous sommes, de nouvelles notions. Nous n’avons pas entendu l’éducation nationale le dire clairement, nous le regrettons. Dans cette période nous ne pouvons que maintenir un lien entre les apprentissages déjà faits en classe et nos élèves. Pour bien apprendre, les enfants doivent être en sécurité. Là, toute la société est confinée dans l’angoisse. Or apprendre, c’est tenter de faire quelque chose qu’on ne sait pas faire encore, c’est prendre des risques, c’est abandonner ce que nous pensions savoir. On ne peut pas demander aux enfants d’apprendre en ce moment. Il faut les aider à utiliser ce qu’ils savent déjà, pour ne pas oublier, et il faut les aider à comprendre ce qui se passe. Il faut les joindre régulièrement, pour être une fenêtre qui s’ouvre sur le monde confiné de la famille. Si tous les enseignants font cela, ce sera déjà bien.
2/ Le risque d’aggravation extrêmement fort des inégalités entre élèves pouvant continuer à acquérir des notions (parce qu’ils ont un pédagogue à leur côté) et ceux qui ne le pourront pas est un danger pour notre société entière. En pensant que l’on va faire acquérir de nouvelles notions à nos élèves, nous nous retrouverons, quand la vie reprendra son cours normal, avec des disparités de niveaux encore plus difficiles à gérer.
3/ La continuité pédagogique à distance demande une « révolution numérique ». Cela s’est fracassé sur la réalité sociale et économique des familles. Si très peu de familles n’ont pas accès à internet, en revanche énormément n’ont pas un ordinateur par enfant, et/ou une imprimante (qu’on le veuille ou non toujours nécessaire car on ne se passera pas de l’écrit), et/ou le temps et les capacités de suivre son enfant (car on continue de travailler notamment pour les services et productions nécessaires à juguler cette crise) et/ou car le débit internet, notamment dans les campagnes est plus qu’aléatoire. Il serait quand même extraordinaire que les élèves mis en difficulté devant cette révolution numérique soient ceux des personnels soignants qui travaillent 10 à 12h/jour. Quid des familles en difficulté avec l’écrit ? Quid des familles allophones ? et que dire aux familles qui vivent à 3, 4 ou 5 dans 40m2.
Ce n’est pas pour rien que l’éducation nationale a interdit les devoirs écrits à la maison. Ce sont eux les facteurs aggravants des inégalités scolaires. Et je suis persuadé que les données sur support numérique ajoutent encore une strate supplémentaire.
La dernière chose sur laquelle nous devons nous interroger est aussi le droit à la déconnexion que cela implique pour nos élèves mais aussi pour les travailleurs de l’éducation nationale que nous sommes.
Est-il souhaitable qu’un élève soit devant un ordinateur à un moment T ? les enseignants doivent ils être contactables et répondre à tout moment ? Là aussi toutes ces questions doivent être posées et réfléchies…
Pour toutes ces raisons, l’auteur de ces lignes pense qu’une reprise la plus massive et rapide possible, avec cette politique de test, est un impératif. En effet, le confinement a aussi des conséquences sociales, et sanitaires négatives notamment pour nos élèves les plus fragiles : malnutrition, violences psychologiques voire physiques, aggravation des inégalités scolaires.
Dès le jour du confinement, le 16 mars ; le ministère de l’éducation nationale aurait du commencer à travailler sur les scénarii de déconfinement sachant que celui-ci aurait lieu un jour, et ceci en lien étroit avec les organisations syndicales et les maires…. Mais là aussi, ils sont INCAPABLES de prévoir, de planifier quoique ce soit ! On reste sidéré par tant d’incompétences !
Décemment, dans ces conditions, la seule résolution raisonnable à ce jour semble être une rentrée pour toutes et tous en septembre avec des conditions sanitaires correctes, sans inégalités territoriales.