« Tout le monde a bien conscience que produire des voitures alors qu’on en est à 15 000 morts n’a pas de sens »
Entretien avec M., ouvrier à la chaîne et militant CGT à l’usine PSA La Janais (Rennes)
Comment cela s’est passé à PSA La Janais la mise en confinement, le premier mois de fermeture de l’usine ?
L’usine est fermée depuis le mardi 17 mars, tous les ouvriers sont en chômage partiel, les managers en télétravail avec normalement 100% de la paye assurée contre le retrait d’un jour de congé pour les ouvriers. La direction met par contre la pression à des salarié-e-s isolé-es et susceptibles d’accepter pour poser des congés sur la période de la fermeture de l’usine.
Par contre, une très grosse majorité des intérimaires (1000 pour 1800 CDI), autour de 85%, ne vont pas être renouvelés et vont donc pointer au chômage. Pour les quelques uns qui restent, on a des craintes sur le respect de la paye qui en temps normal est à égalité de traitement avec les CDI.
La direction a passé un « accord de solidarité » avec la plus part des syndicats (seule la CGT a voté contre), accord qui va permettre à la direction par exemple de ne fermer l’usine que deux semaines cet été contre trois habituellement : cette attaque est inadmissible, il faut embaucher pour permettre le roulement nécessaire à nos congés.
La direction de PSA a indiqué vouloir rouvrir ses usines progressivement à partir du 21 avril ? Où en sont les discussions à Rennes ? Combien de personnes, avec les sous-traitants, seraient impactés sur le bassin rennais ?
Pour l’instant la direction à La Janais table sur le 27 avril pour la reprise, avec une équipe sur deux par semaine au début, mais est-ce viable en l’état, on ne le pense pas.
Avec 300 ouvriers sur les lignes et 200 encadrants, près de 500 personnes reprendraient sur le site.
Et qui dit reprise dit reprise pour les sous-traitants (Gefco...), c’est-à-dire qu’il faut multiplier par deux. Avec la problématique de la garde d’enfants pour des familles dans lesquelles bien souvent les 2 conjoint-e-s sont ouvriers ou travaillent en ce moment.
En terme de mesure sanitaire de protection des salarié-e-s (masques, gels, distances...), qu’en est-il ? La direction vous a donné des gages ?
Lors du dernier CSSCT de la semaine dernière, la direction nous informait que les postes n’étaient pas encore prêts, que leur reconfiguration pour établir de vraies protections sanitaires n’était pas terminée. Mais on sent bien que c’est du bricolage : des masques chirurgicaux de base (pas des FFP2), quelques visières, des aménagements d’un mètre alors que plusieurs études montrent qu’il en faut 1,5 voire 4 mètres...
On parle beaucoup de ré-orienter les lignes de production de plusieurs entreprises. L’usine de La Janais pourrait-elle fabriquer du matériel utile dans la période comme d’autres usines auto par exemple ? (respirateurs...)
Le groupe PSA a fait sa pub en expliquant qu’il allait fabriquer des respirateurs sur l’usine de Poissy, mais on parle de 60 salarié-e-s sur un groupe de 48 000 ! C’est juste un coup de com’ alors que les besoins sont criants dans les hôpitaux.
A Rennes je ne sais pas si les lignes pourraient servir à produire des choses utiles, mais ce qui est sûr c’est qu’avec la surface inoccupée dans l’usine, le groupe pourrait contribuer à la lutte contre le virus, si il y avait une volonté autre du patronat que de faire des bénéfices.
Le confinement brise les cadres collectifs, comment réussissez vous à conserver une activité syndicale, les liens avec les collègues ? Quel est l’état d’esprit des salarié-e-s ?
Comme un peu tout le monde je pense, on a créé des boucles WhatsApp pour conserver du lien entre nous. Je dirais même que la situation nous a un peu poussé à utiliser au mieux les nouveaux outils pour discuter régulièrement entre collègues.
Les salarié-e-s, clairement, refusent toute une série de pression des chefs, comme venir nettoyer les postes. Tout le monde a bien conscience de la gravité de la situation, qu’un pays riche comme la France en soit à 15 000 morts, parce qu’il a détruit son service public hospitalier.
Conscience aussi qu’il n’y a pas d’intérêt à produire des voitures dans la période, alors que par exemple les stocks de voitures de La Janais sont pleins dans le port de Saint-Nazaire. Alors que le groupe cette année a engrangé 3,6 milliards de bénéfices, 1,1 milliard versés aux actionnaires, on voit bien que la situation économique de PSA est largement enviable et qu’il est hors de question que ce soit aux salarié-e-s de payer la crise.
Propos recueillis par Kevin LT