Mercredi 9 mars se sont tenues dans plus de 170 villes des manifestations de masse unifiant la jeunesse et les salarié-e-s contre la politique du gouvernement Valls. Une situation politique et sociale nouvelle s’ouvre en France.
Lire ci-dessous l’article de notre camarade Patrick Le Moal, écrit pour le site de la revue Viento Sur. https://www.vientosur.info ; Photo : Copyright : Photothèque Rouge/JMB
Depuis un an, l’orientation autoritaire et néolibérale du gouvernement Valls et du président Hollande a pris une nouvelle ampleur. Les attaques contre les libertés, l’accentuation de la répression contre les luttes, le racisme institutionnalisé se conjuguent avec une accumulation de modifications législatives contre les droits des salarié-e-s qui amplifient la contre réforme néolibérale visant à détruire bon nombre d’acquis sociaux issus de la seconde moitié du XXe siècle. Se met en place un autre système, une autre place de la loi, de l’Etat, de la répression, une modification fondamentale du système de domination capitaliste en France.
Face aux mauvais coups contre les milieux populaires qui pleuvent quotidiennement, les réactions de ces derniers mois étaient limitées.
Il y a eu des mobilisations de solidarité avec les 8 salariés de Goodyear condamnés à 9 mois de prison pour avoir séquestré en 2013 des cadres de l’entreprise lors d’une grève prolongée contre la fermeture de l’usine et le licenciement de plus de 1000 travailleurs ; également pour soutenir les 5 salariés d’Air France licenciés pour avoir déchiré la chemise d’un dirigeant. Des luttes sociales sectorielles, parfois très radicales, se développent, notamment à La poste contre les restructurations brutales de l’entreprise, et aussi dans le commerce contre la libéralisation du travail du dimanche. Nombre de manifestations ont contesté la politique gouvernementale contre l’accueil des réfugiés.
Les manifestations et diverses protestations contre l’état d’urgence, sa prolongation et le projet de déchéance de nationalité, très minoritaires dans les semaines qui ont suivi les attentats de novembre, ont regroupé de plus en plus d’organisations démocratiques. Le 31 janvier se sont tenues des manifestations dans toutes les villes à l’appel de 150 associations, organisations syndicales et politiques, isolant politiquement le gouvernement sur les questions démocratiques, car des associations et mouvements très influencés par le PS étaient aussi dans la rue. Enfin, si les interdictions de manifester à l’occasion de la COP21 ont empêché la tenue de manifestations de masse, elle n’ont pas réussi à totalement bâillonner la lutte pour la justice climatique.
Le premier indice d’une possibilité de mobilisations d’une autre ampleur contre la politique gouvernementale est venu de la lutte contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, à côté de Nantes, qui s’est accélérée ces dernières semaines conduisant à l’annonce par le gouvernement d’un référendum bidon. Organisé rapidement, le blocage festif de la voie express bordant les terrains sur lesquels est projeté cet aéroport a regroupé entre 50 et 60.000 personnes le samedi 27 février, la plus grosse manifestation pour la sauvegarde du bocage et le soutien à celles et ceux qui vivent sur la zad, la« zone à défendre », engagée depuis plus de15 ans.
Le projet gouvernemental est radical : il vise à refondre entièrement le code du travail.
Formellement créé en 1910, le code du travail regroupe l’ensemble des lois et règlements pour les 17 millions de salarié-e-s de droit privé [1]. Il concentre les acquis sociaux des luttes de classe du siècle dernier, et notamment après les grandes périodes de grèves générales (1936, 1968) et les périodes de rapports de force favorables aux travailleurs/euses (de la fin de la seconde guerre mondiale aux années 70). Les avancées se sont souvent construites par un système de négociation particulier : tout ce qui est négocié entre les organisations patronales et syndicales ne peut qu’être plus favorable aux salarié-e-s. La loi est donc un socle, la négociation apportant des améliorations à ce socle, parfois intégrées petit à petit au code.
Bien sur tout cela a été remis en cause durant les trente dernières années. Comme partout en Europe, la flexibilité des contrats de travail et du temps de travail s’est développée, les possibilités de licencier ont été assouplies, les acquis divers rognés.
Ce qui est en jeu est d’une toute autre ampleur : la réécriture complète du code du travail à partir d’autres principes directeurs.
Deux idées maîtresses détruisent complètement la construction actuelle.
La première est que les libertés et droits fondamentaux peuvent être limitées « par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Cette formule néolibérale veut conduire à adapter les droits et libertés à l’économie et non l’inverse, ce que faisait plus ou moins bien le code du travail depuis sa création.
La seconde est qu’il faut permettre aux accords négociés dans l’entreprise de déroger au code du travail en défaveur des salarié-e-s et, lorsque les syndicats majoritaires ne veulent pas signer de tels accords, il prévoit l’organisation d’un référendum des salarié-e-s pour imposer les dégradations des conditions de travail et de salaire sous le chantage à l’emploi.
L’application de ces nouveaux principes à l’ensemble du code du travail signe la mort de tous les acquis construits depuis plus de cent ans !
Il sera ainsi possible de négocier 12 heures de travail par jour, 48 heures de travail hebdomadaire sur 4 mois, 60 heures de travail sur une semaine, des assouplissements sans fin de la répartition du temps de travail, de l’extension du travail de nuit, de la généralisation du travail au forfait [2], de la diminution de la majoration de salaire pour les heures supplémentaires. En même temps le texte prévoit la facilitation des licenciements économiques en permettant d’y recourir en cas de baisse de commandes, le plafonnement des indemnités lorsque l’employeur est condamné par les tribunaux pour licenciement abusif.
Face à une attaque de cette ampleur, les organisations syndicales ont été dépassées. Le 23 février un communiqué intersyndical ne demandait pas le retrait du projet, mais seulement de quelques unes de ses mesures et ne prévoyait aucune mobilisation.
Sur les réseaux sociaux, la mobilisation virtuelle s’était déjà mise en place.
Une pétition pour le retrait du projet impulsée par une militante féministe ayant quitté le PS en 2014 [3], recueille en quelques jours des centaines de milliers de signatures. En deux semaines le million était atteint. Une vidéo tournée par un groupe de jeunes sous l’intitulé « on vaut mieux que ça [4] », partant de l’expérience vécue des mille petites et grandes vexations et atteintes à la dignité. tourne en boucle. Elle va être suivie de centaines, milliers de témoignages spontanés de l’exploitation quotidienne dans les entreprises. En quelques jours ce climat rend crédible la proposition de manifester le jour de la présentation de l’avant projet de loi au Conseil des Ministres prévue le 9 mars qui circule sur ces réseaux .
Toutes les organisations syndicales et politiques de jeunesse [5] adoptent le 25 février une position commune pour le retrait complet du projet de loi et appellent à une journée nationale d’action le mercredi 9 mars. La mobilisation commence à s’organiser. Le gouvernement reporte la présentation de la loi au 24 mars, sans effet. Puis au sein des organisations syndicales la grogne monte contre le projet annoncé par l’intersyndicale d’une journée d’action le … 31 mars ! Finalement toutes les organisations, bousculées par la montée du mécontentement dans la jeunesse appelleront aux manifestations du 9 mars, la plupart autour de l’exigence du retrait de la loi El Khomri [6].
La mobilisation a été massive (plus de 450 000 manifestants), la plus importante depuis 2010.
Les manifestations regroupaient des jeunes lycéen-nes et étudiant-e-s, avec une frange significative de salarié-e-s, essentiellement du privé, mais aussi des fonctionnaires [7].
Cette mobilisation cristallise le rejet de la politique du gouvernement Valls Macron, de toute la politique réactionnaire menée par le gouvernement depuis 2012. La loi El Khomri devient le catalyseur de tout le rejet de la politique d’austérité, liberticide de Hollande. Dans les discussions sur le projet de loi, on sent que dans une partie de la jeunesse et des salarié-e-s c’est toute la politique anti-ouvrière, pro-patronale, liberticide etc qui est rejetée. S’exprime un état d’esprit de remise en cause plus globale de la politique du gouvernement et même de la société actuelle qui était présent de manière souterraine dans toute une série de luttes.
Avec cette première mobilisation, la possibilité d’imposer le retrait de la loi Travail, de mettre un coup d’arrêt à l’offensive gouvernementale commence à se profiler.
Pour se développer, le mouvement doit s’organiser autour de l’exigence du rejet de la loi qui unifie et soude l’ensemble des secteurs. En effet il faudra contrer le gouvernement et une partie des organisations syndicales qui veulent amender le projet de loi sur des questions secondaires sans en changer l’orientation générale.
Cette première étape n’a été rendue possible que par la radicalisation d’une partie de la jeunesse, et par la capacité de certains secteurs à prendre des initiatives porteuses de perspectives mobilisatrices. C’est à nouveau ce qui se dessine dans les jours qui viennent avec de nouveaux rendez-vous fixés bien avant le 31 mars syndical, permettant de construire la mobilisation.
Patrick Le Moal
Notes
[1] Les 8 millions de fonctionnaires sont soumis à des statuts particuliers.
[2] Dans lequel les heures de travail ne sont pas comptabilisées, et donc les majorations des heures supplementaires non payées.
[3] https://www.change.org/p/loi-travail-non-merci-myriamelkhomri-loitravailnonmerci?tk=VQIVfTsT0qKGDWUN57NTewUVKBph9i4rBapeGDD2GIc&utm
[4] https://www.facebook.com/OnVautMieux/
[5] Y compris le mouvement de jeunes du Parti Socialiste
[6] Du nom de la ministre du travail qui la présente.
[7] Qui savent que les reculs imposés aux salariés du privé s’imposent à eux ensuite