Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) L’anticapitaliste - Ille et Vilaine (35)
  • Contre le coup de force : non à l’impunité policière et au permis de tuer

    Une quarantaine de personnes, intellectuels, universitaires, membres de collectifs, proches de victimes, signent une tribune pour dire pourquoi ils ne partagent pas la « colère » des policiers et dénoncent leurs « manifestations ».

    Depuis dix jours la situation politique en France a connu un nouveau mouvement à droite. Les événements de Viry-Chatillon ont suscité un emballement médiatique présentant les policiers comme des victimes de la crise profonde, sociale, idéologique et politique, qui affecte le pays, emballement accompagné par un programme de revendications proprement réactionnaires.

    Le fond des revendications policières : réprimer encore plus, avec encore plus d’impunité

    Les 2 à 3000 policiers qui ont manifesté à Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse ou encore Strasbourg depuis mardi 18 octobre, disent effectivement quelque chose de ce qui se passe dans notre pays. Manifester de nuit, cagoulés, armés, constitue pour des membres de la police un acte d’insubordination important. Mais on ne leur en tient pas rigueur : leur « malaise » est « compréhensible », et leur « colère » « légitime », entend-on partout. D’aucuns prétendent que les policiers, à l’instar d’autres salariés du public ou du privé, se mobiliseraient pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail, afin de pouvoir mieux accomplir leur mission. Mais de quelle mission, de quelles revendications parle-t-on ?

    • Aller vers encore plus d’impunité, obtenir une présomption de légitime défense, en finir avec le matricule,
    • bâtir une société encore plus carcérale : restauration des peines planchers, fin de la pratique du sursis, suppression du juge d’application des peines, etc. Bref, il faudrait que la « racaille », comme ils disent, ait peur. Ils veulent des moyens matériels et humains supplémentaires pour réprimer : au fond, rien d’autre qu’un simple permis de tuer en toute impunité, sans risquer d’être inquiétés et encore moins traduits en justice et condamnés, ce qui par ailleurs est déjà la règle.

    Hasard ou non du calendrier, les policiers ont choisi le mercredi 26 octobre pour exprimer leur « colère ». Une colère... de ne pas pouvoir jouer encore plus librement un rôle qui est certes sensible, mais qui, justement, l’est parce que son véritable contenu est de faire respecter l’ordre sécuritaire d’une société qui craque de partout, sous le poids de l’injustice, de la misère, de l’exploitation et, en particulier dans les quartiers populaires, d’un racisme chronique. Non, le 26 octobre était et reste pour nous jour de mémoire et d’hommage à Rémi Fraisse, jeune étudiant écologiste tué par une grenade de gendarme à Sivens il y a deux ans, tout simplement parce qu’il manifestait contre un projet de barrage qui n’est même plus, aujourd’hui, considéré comme d’« intérêt public ». Et le 27 octobre est un autre jour de deuil, celui de la mort à Clichy de Zyed et Bouna, en 2005. Octobre, mois de deuil : nous nous souvenons aussi du 17 octobre 1961 quand, lors d’une manifestation pacifique, plusieurs centaines d’Algériens ont été jetés à la Seine par des policiers. Or le 17 octobre dernier, nous avons appris la date du procès en appel de Damien Saboudjian, policier qui a tué Amine Bentousi d’une balle dans le dos : ce sera le 6 mars prochain. 6 mars, une date qui à son tour nous rappelle la mort d’Amadou Koume, en 2015. Comme dans l’affaire Adama Traoré, les responsables sont protégés, et les victimes stigmatisées. L’histoire malheureusement se répète, mais notre mémoire est intacte.

    Un coup de force contre le gouvernement, qui en réalité lui demande d’intensifier sa politique

    Quand on sait l’emploi du terme de « voyou », qui a été utilisé jusqu’au sommet de l’Etat pour qualifier les jeunes, les travailleurs et les syndicalistes, bref toutes celles et ceux qui contestent le sort qu’on leur fait subir et qui ont, pour beaucoup, manifesté au printemps contre la loi Travail, on comprend aisément que le gouvernement se soit mis à dialoguer avec les policiers avec empressement.

    Le pouvoir exécutif actuel est en effet un habitué de la surenchère autoritaire. Incapable de résoudre la crise profonde qui traverse le pays et sa propre perte de légitimité, il franchit aujourd’hui un nouveau pas dans le même sens. En témoigne explicitement une récente circulaire du ministère de la Justice adressée aux procureurs et présidents des tribunaux, qui demande l’anticipation d’un nombre d’interpellations encore plus conséquent que d’habitude, et mentionne spécialement les « zadistes » et le démantèlement du grand campement des migrants de Calais. La répression de masse qui s’annonce à Notre-Dame-des-Landes rivalisera ainsi avec la chasse aux migrant.e.s calaisien.ne.s, dispositifs quasi-militaires à l’appui. Et dans le même temps, alors que l’encasernement brutal des quartiers populaires se poursuit, des universités voient des réunions publiques, où étudiants et chercheurs veulent questionner le rôle de la police et de la justice, la diffusion des racismes, être purement et simplement interdites, comme à Evry, au nom du « trouble à l’ordre public ». A ce compte-là, qu’est-ce qui, à brève échéance, pourra encore échapper à la mise au pas, à part le silence, la soumission et le port de l’uniforme ?

    Contre l’Etat policier, pour une défense unitaire des droits démocratiques

    Ces « manifestations » policières, sur le mode du coup de force extra-légal, préfigurent, dans un proche avenir, un saut encore plus brutal dans le tournant autoritaire que le pays subit déjà depuis les premières interdictions de manifester à l’été 2014, que l’état d’urgence permanent et sa législation d’exception ont déjà dûment balisées depuis un an.

    C’est pourquoi, selon nous, les organisations syndicales, de salariés, d’étudiants et les associations des quartiers populaires devraient construire un large front contre cette politique martiale. Et pour défendre fermement, contre cet Etat de plus en plus policier, les droits démocratiques de s’exprimer, de manifester, de se réunir, de circuler et de s’installer librement. Droits que nous perdrons définitivement si nous acceptons de devoir les mériter ou les négocier, ou si nous acceptons qu’ils soient d’ores et déjà perdus par certaines catégories de la population.

    Les signataires :
    Pierre Alferi, écrivain ; Romain Altmann, secrétaire général d’Info’Com CGT ; Ludivine Bantigny, historienne ; Emmanuel Barot, philosophe ; Hourya Bentouhami, philosophe ; Amal Bentounsi, collectif Urgence Notre Police Assassine ; Arno Bertina, écrivain ; Vincent Charbonnier, philosophe ; Alexis Cukier, philosophe ; Christine Delphy, sociologue ; Jean-Pierre Djukic, chercheur chimiste ; Cédric Durand, économiste ; Vincent Duse, délégué CGT PSA Mulhouse ; Houssam El Assimi, membre du collectif La Chapelle Debout ; Franck Fischbach, philosophe ; Isabelle Garo, philosophe ; Valérie Gérard, philosophe ; Manuel Georget, ex délégué CGT EGP Philips Dreux ; Nacira Guénif, sociologue ; Razmig Keucheyan, sociologue ; Stathis Kouvélakis, universitaire ; Reynald Kubecki, co-secrétaire de l’UL CGT du Havre ; Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire ; Alain Leclerq, syndicaliste SUD Rail ; Jessica Lefevre, épouse de Amadou Koume ; Olivier Long, universitaire et peintre ; Pascal Maillard, responsable syndical SNESUP-FSU ; Philippe Mangeot, enseignant, membre de la revue Vacarme ; Patrice Maniglier, philosophe ; Xavier Mathieu, comédien, ex porte-parole des Contis ; Bernard Mezzadri, anthropologue ; Olivier Neveux, universitaire ; Ugo Palheta, sociologue ; Willy Pelletier, sociologue ; Julien Salingue, politiste ; Valentin Schaepelynck, philosophe ; Guillaume Sibertin-Blanc, philosophe ; Omar Slaouti, membre du collectif Ali Ziri ; Anasse Souiri, délégué syndical SUD Rail Jean-Baptiste Thomas, hispaniste ; Assa Traoré, pour la famille d’Adama Traoré ; Guillaume Vadot, politiste ; Jérôme Valluy, universitaire ; Mickaël Wamen, Good-Year Amiens Nord ; Pierre Zaoui, philosophe.