Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) - Ille et Vilaine (35)
  • CONFINEMENT : PAROLES DE TRAVAILLEURS/EUSES - 13 -

    Aujourd’hui, le témoignage de Pierrick, directeur d’école à Rennes, militant pédagogie Freinet :

    « J’ai lu dernièrement le témoignage de mon collègue Pierre dans cette chronique. Je partage ses observations et ses constats. Cependant nous ne travaillons pas dans le même contexte et je livre ici un témoignage propre à celui-ci. »


    Peux-tu te présenter en quelques mots ?

    Je suis maitre d’école depuis bientôt 40 ans et praticien de la pédagogie Freinet depuis 35 ans. Je travaille dans une équipe Freinet depuis 30 ans dans un quartier populaire de Rennes. J’occupe officiellement le poste directeur de cette école dont la gestion est coopérative. La pédagogie et la classe priment, les décisions et l’organisation de l’école sont gérées collégialement.


    J’imagine bien que cette mise en confinement a dû être très difficile. Tu peux expliquer ce que ça a représenté pour garder le lien avec les enfants et les familles.

    Je travaille dans une école avec un public socialement mixte, et une majorité d’enfants de milieu populaire. Les conditions de confinement sont donc variables d’une famille à l’autre. Certaines familles disposent d’un jardin quand d’autres ne disposent même pas d’un balcon ou sont confinées au 12ème étage d’une tour. L’équipement informatique ou encore les possibilités d’accompagnement des parents sont très inégaux,
    Nous avons alimenté un blog où la place de l’expression-création et la communication entre enfants est privilégiée, avec aussi une messagerie interne à la classe Cependant l’investissement des enfants dans ce travail a été très différencié. Il dépend globalement de l’implication et de l’accompagnement des parents, avec des habitudes culturelles très hétérogènes. J’ai entretenu un lien avec tous les enfants, avec des réunions téléphoniques régulières (1 à 2 par semaine). J’avais fait le choix de cette option car tout le monde dispose au moins d’un téléphone. C’était d’abord l’occasion d’entretenir un lien humain, affectif entre nous par l’intermédiaire d’un entretien/quoi de neuf informel laissant percevoir les occupations mais aussi préoccupations de chacun. Certains enfants pouvaient y dire ce qui allait et ce qui n’allait pas. Ils ont tenu aussi à s’envoyer des félicitations sur des articles déposés dans le blog.
    Mais ces réunions n’ont jamais pu rassembler toute la classe en même temps, même si tout le monde a pu y participer à un moment ou un autre, en relançant certains enfants ayant tendance à décrocher. Pour certains c’était aussi une histoire de forfait téléphonique limité ou de téléphone à partager avec les autres membres de la famille,
    Tout au long de ce confinement l’important pour moi était d’entretenir a minima le climat coopératif de la classe, en suscitant aussi un réseau d’entraide à distance entre enfants.
    Par ailleurs, j’ai tenu à avoir un contact plus soutenu avec les enfants les plus distants, non seulement pour les soutenir sur les activités demandées mais aussi avec leurs parents pour un lien humain essentiel dans ces moments d’autant plus anxiogènes que le confinement est particulièrement contraint d’un point de vue matériel,
    Il reste que contrairement à ce que le ministre a continué d’avancer, ce n’était pas de l’école à distance. Je pense, j’espère, que beaucoup de familles ont compris que l’école ce n’était pas ça, qu’on avait un besoin essentiel de la médiation experte d’un enseignant mais aussi de la présence physique, de l’interaction sensible et en direct. Autant de facteurs nécessaires aux apprentissages et à une sociabilité de base.

    Ce que ça a représenté en charge de travail pour l’équipe ?
    Comment vous êtes-vous organisé.e.s ?

    D’emblée nous avons pris nos distances avec le discours et la pression ministériels, qui laissaient faussement entendre que tout était sous contrôle, anticipé, alors même que bon nombre d’outils numériques mis à disposition par l’Education nationale ne fonctionnaient pas bien, au moins dans ce premier temps. Le parallèle est à faire là aussi avec les mensonges persistants sur les masques et les tests.
    Avec l’équipe nous avons décidé d’avancer à notre rythme, en prenant en compte les contingences de chacun-e, certains collègues ayant aussi leurs enfants, tout petits ou plus grands, à prendre en charge. L’idée partagée a été rapidement de se concentrer sur les enfants et familles les plus fragiles, avec un lien régulier avec ces familles et le prêt de matériel à certaines d’entre elles.
    Nous nous réunissions en conférence téléphonique pour faire le point en équipe, 3 fois par semaine au départ puis 1 à 2 fois par semaine ensuite.
    Avec l’aide de parents informaticiens, nous avons constitué aussi un site commun pour communiquer avec les familles.

    Quelles ont été les injonctions de l’administration ?
    Prise dans ses contradictions et ses atermoiements, on sent une administration déboussolée ces derniers temps. Cela ne l’empêche pas, sous l’impulsion d’un ministre « droit dans ses bottes », d’assommer le monde enseignant d’injonctions contradictoires. Et cela n’est pas sans effet sur bon nombre de collègues, très dociles ou perméables aux pressions, avec des répercussions sur des enfants assommés d’exercices quotidiennement. J’ai pu le constater en faisant de l’accompagnement d’enfants de soignants pendant le confinement,
    Mais ce qui est insupportable c’est l’hypocrisie, le double-discours, les faux-semblants au pouvoir.
    On annonce une reprise dans les écoles officiellement pour lutter contre les inégalités et le décrochage, quand on sait que c’est la reprise de l’économie comme avant qui dicte tout. Pour en rajouter une couche, on fait appel au choix des familles pour le retour de leur-s enfant-s à l’école, ce qui en passant n’est pas sans questionner sur la conception de l’école par le pouvoir actuel. Et après on s’étonnerait presque que ce sont justement les familles les plus fragiles, avec des enfants en voie de décrochage, qui ne vont pas renvoyer leur-s enfants à l’école pour bon nombre d’entre elles.
    Autre manifestation de l’ambiguïté au pouvoir : on nous dit que les enseignants présents à l’école après cette reprise (le fameux « présentiel » de la novlangue managériale) ne devront pas s’occuper des enfants qui resteront à distance de l’école. Ce serait aux quelques collègues restant en distanciel, pour des raisons personnelles, de s’occuper de ces enfants, sans les connaître forcément. À charge pour eux d’aller aux informations avec les enseignants de ces enfants… Une belle usine à gaz en perspective, qui entérine surtout le maintien à l’écart de beaucoup d’enfants qui sont parmi ceux qui ont le plus besoin d’école.
    Deux exemples parmi bien d’autres qui suscitent une colère et un ressentiment très fort vis à vis du ministère et du pouvoir, quand on le relie aux autres hypocrisies et attaques sociales et politiques du moment. À savoir maintenant à quelle hauteur ces points de vue sont partagés et vecteurs de réelles mobilisations à l’avenir.

    Comment voyez-vous le 11 mai au niveau de l’équipe ?
    Comme pour l’ensemble du monde enseignant, cette reprise est très anxiogène, renforcée par les flottements et le double-discours ministériel, Nous avons tenu à travailler en concertation étroite avec les parents, via leurs représentants, alors que le Ministère ne demande qu’à leur communiquer nos dispositions de rentrée. Nous avons organisé une réunion extraordinaire sur le groupe scolaire avec les parents élus qui a voté une motion, posant nos conditions et nos réserves sur cette reprise, sous la forme du droit d’alerte. (Cf document joint)
    À part ça, tout va bien, nous avons reçu des masques de l’Education nationale… pour une semaine. On sera certainement livrés au fur et à mesure. On peut avoir confiance.

    Pendant le mouvement social contre la réforme des retraites, des réunions ont eu lieu entre enseignants du Blosne, est-ce que les contacts perdurent ?
    La liste et le réseau que nous avons constitués sur Rennes Sud lors des derniers mouvement sociaux est restée active pendant cette période et maintient un lien entre nous, avec l’idée partagée de rebondir quand cette foutue épidémie se terminera. Car on sait tous il y aura (il y a déjà) beaucoup de pain sur la planche politiquement et syndicalement.